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Hitchcock est un souvenir d’enfance

vendredi 29 novembre 2019, par Sébastien Rongier


A l’occasion de la parution de Alma a adoré chez Marest Editeur, ouverture d’un dossier sur mon site... quelques remarques, informations, liens et souvenirs.


Qu’est-ce qui pousse à écrire sur Hitchcock ? A proposer un livre sur ce cinéaste et... à le publier ?

Il y a bien sûr la rencontre avec un éditeur (on en parlera) mais il y a surtout un rapport avec l’enfance et l’adolescence. Peut-être s’agit-il d’en démêler les traces ? Je crois qu’il est d’abord question pour moi de rendre hommage et de dire par ces petites réflexions, textes ou récits l’importance des rencontres artistiques et des déplacements qu’ils ont provoqués : Duchamp, Benjamin, Hitchcock, Socrate et quelques autres. Tout cela relève d’abord d’un parcours personnel (une idiosyncrasie... je connais quelques amis qui ne manqueront pas le jeu de mots).

Cela dit, au-delà des choix personnels, tous ces essais publiés relèvent d’une logique interne qu’il faudrait éclairer un jour (ou pas). Mais arriver à parler d’Hitchcock relève autant d’un prolongement théorique articulé aux autres livres qu’aux souvenirs d’une enfance passée devant la télévision à voir autant les Alfred Hitchcock Presents que ses films. Je n’y comprenais sans doute rien mais je voyais tout. J’étais fier comme un coq au milieu de sa basse-cour quand je voyais le bref passage du cinéaste dans ses films. Je me souviens également des mécanismes contraires : oublier de chercher le caméo parce que j’étais pris par le film... c’est la mécanique hitchcockienne à l’oeuvre et un effet d’imprégnation formidable.

Un peu comme dans une oeuvre de Pierre Bismuth (Link, 1999), je me souviens de la place des téléviseurs dans les différents appartements dans lesquels j’ai vécu. C’est autant un dispositif mémoriel retravaillé par l’art contemporain qu’un jeu littéraire à la Perec. C’est surtout la conscience aiguë qu’il s’agissait du lieu de la culture pour moi, l’espace possible de la rencontre avec des oeuvres selon les algorithmes d’un parfait hasard... au début. Mes seuls maîtres sont de télévision : Claude-Jean Philippe, Patrick Brion, Eddy Mitchell et les frères Bogdanoff.
Je viens de découvrir avec une joie infinie qu’on peut lire sur wikipédia la liste complète des films diffusés lors de l’émission La Dernière séance... potentiellement, j’en ai vu une très large partie. Et j’ai encore quelques souvenirs de terreurs à la diffusions de certains extraits de films et de séries à l’époque de Temps X.


C’est donc très clairement la télévision qui a déformé mon enfance en me donnant accès à ces oeuvres invisibles sinon. Car, même si enfant, j’habitais dans une ville (Auxerre) dans laquelle il y a avait des cinémas pointus, je n’avais pas l’environnement pour me permettre d’y accéder. C’est à partir du moment où j’ai pu aller au cinéma seul, vers l’âge de 12 ans, que j’ai commencé à voir à peu près tout ce que je voulais ou pouvais.
Les années 1980 auront été un terrain de jeu passionnant (comme toute période pour chacun) car, outre le cinéma, c’est l’arrivée de la VHS qui a également déplacé les lignes. C’est sur les planches en bois de mon premier vidéo-club (derrière l’école primaire de la rue de Paris à Auxerre) que j’ai découvert le cinéma de Cronenberg de Frissons à Scanners qu’on passait au ralenti pour être sûr d’avoir bien vu ce qu’on voyait... Vidéodrome et Dead Zone, je les ai vu au cinéma. Et dans ces vidéo-clubs, autant de cinéma bis ou Z, ou ce qu’on appelait pas encore des nanars.

Les classiques, je ne les rencontrais qu’à la télévision. On prenait ce qui passait. Je continuais de regarder Hitchcock dès qu’il passait à la télévision. La veille était alors facile (trois chaînes). Comme je l’évoque dans Alma a adoré, c’est ensuite l’école qui a fait une sorte de relai : un enseignant diffusant Fenêtre sur cour dans un ciné-club qu’il avait ouvert dans un collège au fond de la banlieue de Châlon-sur-Saone où j’ai vécu un an. Je n’ai pas perçu alors l’importance de cet épisode. Je l’ai compris plus tard. L’institution scolaire légitimait une pratique que je croyais aussi illégitime que je l’étais moi-même. Le cinéma n’étais donc pas uniquement une activité populaire (celle qui regarde la télévision et les vidéo-clubs). Il faudra beaucoup de temps pour comprendre cela et deux ou trois autres choses... du temps aussi pour se sentir un peu moins illégitime aussi (même si cela reste fragile et incertain... et qu’il y a toujours quelques piqures de rappel parfois désagréables).

C’est donc Fenêtre sur cour, vu dans une salle de ce collège de Champforgeuil, qui cristallise un goût. Ecrire Alma a adoré, c’est retrouver tous ces sédiments intimes avant d’essayer de dire quelque chose de l’oeuvre. C’est d’ailleurs drôle et troublant de voir comment chaque essai n’est pas seulement un espace d’un paysage théorique mais aussi la pièce d’un puzzle intérieur.

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