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Colloque "tierslivre.net : François Bon à l’oeuvre"... une intervention
dimanche 1er décembre 2013, par
C’était donc à Montpellier, pour le colloque organisé par Pierre-Marie Héron et Florence Thérond. Deux journées aussi denses que joyeuses autour du tiers livre de François Bon, occasion de rencontres et d’écoutes. Programme complet ici.
De mon côté, bricoleur et simple acteur du numérique (ici même et sur remue.net), j’ai essayé de proposer quelques pistes de réflexions et quelques outils pour réfléchir à une lecture du tiers livre.
« Tiers Livre, une structure en constellation. Lecture d’un site »
On peut lire François Bon sur le web depuis 1997. C’est écrit sur la page d’accueil du site, comme un clin d’œil, comme l’affirmation d’une véritable expérience d’écriture.
Pour nous, la question n’est pas celle de la lecture sur numérique mais de la lecture dans le numérique. Et donc de la lecture du numérique. Le problème ne doit donc pas être posé en terme de support mais bien en terme de lecture. Accepter le site comme milieu d’écriture, comme expérience de lecture, comme mode d’accès à une écriture. La lecture numérique est une expérience de la mobilité. Cette mobilité littéraire est plus ré-inventée qu’inventée. Pour moi, l’idée de ré-invention est importante car elle permet de tenir un double discours sur le numérique : à la fois tracer une généalogie et définir des spécificités. Pour l’écriture comme mobilité, on peut lire Rabelais, Montaigne, Proust ou Claude Simon... c’est-à-dire tracer des filiations et des généalogies, manière de casser des étanchéités idéologiques toujours à l’œuvre et à la manœuvre. Des liens et de la généalogie, certes, mais aussi des spécificités. C’est ce à quoi invite le tiers livre.
Il s’agira donc de tenter des incursions à l’intérieur du tiers livre pour cerner les contours d’une lecture. Et d’ores et déjà de souligner la singularité, la valeur indéterminée du déterminant : une lecture. Donc pour tenter cette approche, il faudra se forger quelques outils et projeter quelques hypothèses.
Je voudrais d’abord partir d’un constat : le site tiers livre s’élargit. Au fur et à mesure de son évolution, le tiers livre s’épaissit. Je vais essayer de répondre à cette questions impossible : comment décrire ce mouvement ? comment cerner une épaisseur numérique ? Une approche intuitive serait de proposer l’analyse d’une navigation et d’en déduire quelques aspects. Mais si l’on veut envisager le tiers livre comme un système en déplacement occupant un espace-temps, il faut tenter un autre geste : esquisser une morphologie du site pour des modes de lecture.
La vie du numérique est d’abord conçue par la verticalité. La lecture et la navigation sont d’abord verticales : verticalité de la page et premier déplacement du haut vers le bas de la page. La navigation est verticale avant d’être spatialisée par le passage d’une page à l’autre selon une logique numérale, puis par le lien hypertexte qui densifie l’espace numérique, lui donne une épaisseur et ouvre la structure logique à la possibilité de la perte. Cependant la perte numérique est relative, la logique de la navigation comme perte reste subordonnée aux coordonnées de la navigations enregistrée par la machine et les serveurs à partir desquels on navigue (même si on voit se développer des contre-démarches d’évanescence cf. Snapchat ou de certains sites en désordre).
La question devient celle de la stratégie d’architecture du site et du dispositif de lecture qu’il propose. De nombreux sites sont des blogs et des blogs sont des sites. La distinction me semble toujours opérante pour affiner les lectures. Là où le blog a une logique d’empilement vertical avec l’infini mouvement de l’ascenseur numérique, le site lui développe une logique d’arborescence (laquelle n’empêche pas d’accueillir en son sein un blog). L’histoire du tiers livre me semble relever de cette double articulation et de son déplacement.
Je vais tenter d’amorcer une réponse en trois points :
1/ une logique de lecture
2/ constellation et processus
3/ une plasticité
1/ Le tiers livre, quelle logique de lecture ?
Le passage d’une conjonction horizontalité/verticalité à une forme dynamique.
Il me semble qu’il a dans le développement du tiers livre, une leçon de l’expérience de remue.net. Même seul (le tiers livre est le site d’un auteur), le numérique n’est pas solitaire. Le tiers livre s’articule dans son histoire à l’aventure de remue, au moment de sa grande ouverte au collectif. C’est ce qui a permis à François d’affirmer cette nouvelle aventure personnelle et ce à trois niveaux :
— 1/ une base solide pour une aventure collective qui perdure
— 2/ le développement d’un espace personnel pour de nouvelles activités et expérimentations (elles étaient parallèle à remue bien avant l’affirmation du tiers livre)
— 3/ la mise en place du tiers livre prend acte de la fin de la structure d’empilement : c’est aussi parce que remue est devenu collectif que la fonction accumulative et verticale ne faisait plus sens tant d’un point de vue technique (passage sous spip) que d’un point de vue éditorial. Nécessité d’une nouvelle arborescence et d’une nouvelle logique de lecture. Le tiers livre prend ce chemin pour inventer ses propres formes d’écriture.
C’est pourquoi le tiers livre subvertit la logique de verticalité par celle de l’horizontalité. On peut y voir une sorte d’effet Baudelaire. Baudelaire a des effets numériques. Qu’on se souvienne de la logique des « correspondances ».
Un petit rappel à grands traits : pour Baudelaire, la recherche d’une unité perdue de la Nature dans la poésie repose sur un principe analogique. D’où chez Baudelaire un réseau poétique s’élaborant sur une perspective verticale (du visible à l’invisible) et une perspective horizontale (écho des sens formant dans le texte une sorte d’unité dans le confus) [1].
Evidemment pour moi cette poétique baudelairienne est un motif. Je l’extrais de l’esthétique baudelairienne pour n’en garder qu’une trame, un prétexte méthodologique pour lire le tiers livre avec tout de même cette double arrière-pensée baudelairienne : la figure du poète est présente dans tout le tiers livre (bien avant les pas de danse de Proust est une fiction) et surtout Les Fleurs du mal font parti des premiers gestes de mis en ligne par François : recopier et mettre en ligne Baudelaire a été un des premier geste d’écrivain numérique de François Bon. C’est un cœur (vif et nu) numérique, un geste généalogique dont on devrait mesurer les traces dans la structure même du site.
D’où cette tension entre verticalité et horizontalité...
Historiquement, le site bouge sa page d’accueil, casse ses marge, s’étire par les côtés. La fonction horizontale contrarie la logique verticale. C’est le premier renversement de lecture
Pour voir ce renversement de la verticalité par l’horizontalité et le foisonnement intérieur, il suffit de parcourir l’histoire des pages d’accueil depuis 2005 :
Avril 2005
En 2006
Avril 2008
Septembre 2008
Février 2009
Novembre 2009
Juin 2010
Décembre 2010
Juin 2011
Décembre 2011
Juillet 2012
Décembre 2012
Octobre 2013
Second renversement : c’est ce que j’appelle la logique asymptotique : il y a un principe de profusion, de multiplication d’expériences et de modes d’écritures qui tiennent toutes ensembles (journal image, notation, texte en écriture, en reprise d’écriture, etc.). L’asymptote est ici métaphore de l’infini, comme le site lui ne cesse de se multiplier, de se re-configurer.
Comment dans cette circonstance du mouvant tenter une morphologie ?
En faisant appel à une branche des mathématiques qui a eu son heure de gloire à la fin des années 1960 et 1970, la morphogenèse. Il ne s’agit bien évidemment pas d’entrer dans des considérations mathématiques dont je ne suis pas capable mais de saisir par la métaphore des éléments de la démarche à savoir décrire des topologies instables et de penser la dynamique instable.
Le sens général de la morphogenèse est celui d’un processus créateur (et destructeur) de formes. La question générale posée par René Thom est de comprendre la dynamique de stabilité dans une discontinuité et donc de mettre en jeu une stabilité structurelle et un processus d’évolution induisant une instabilité (l’action d’une singularité). Bref, il s’agit de penser un modèle dynamique et pour nous de dire l’état d’une forme discontinue que serait le tiers livre car comme le rappelle René Thom « Ce qu’on appelle usuellement une forme, c’est toujours en dernière analyse, une discontinuité qualitative sur un certain fond continu » [2].
Cette prise en considération de la dynamique et de l’instabilité a pour moi une conséquence importante : elle ouvre la pensée à une dimension aporétique contre les modélisations systémiques reposant sur la stricte stabilité et sur la reproductibilité.
Formulé autrement : comment s’y retrouver dans le grand foutoir du tiers livre ? Comment essayer d’embrasser ces expériences multiples, en mouvement constant sinon en acceptant d’abord l’idée de ce mouvement, c’est-à-dire son caractère infini et sa dimension aporétique : c’est l’idée d’une tension comme expérience critique qui déjoue les formes de dominations (idéalistes ou systématisantes).
2/Le tiers livre , un espace d’intensification : constellation et process
Il y a les textes, leurs repentirs, leurs apparitions et leurs disparitions (le Proust en trace un exemple après la publication papier, en attendant une nouvelle autre vie dans quelques temps). L’espace d’écriture retrouve avec le numérique sa mobilité. Elle n’a jamais été perdue mais elle a souvent été oubliée parce qu’on a le livre comme modèle unique (et fermé).
Alors comment saisir la lecture du tiers livre ?
Je partirai de l’idée de constellation : quitter la logique baudelairienne (idée des correspondances reposant sur la relation d’horizontalité/verticalité) par un principe benjaminien de constellation : la constellation est un ensemble hétérogène maintenu dans son hétérogénéité. C’est un système ouvert qui repose sur une absence de pôle d’attraction. C’est une forme qui s’expose sans fin, à la différence de la configuration qui est une totalité fermée.
La totalisation est impossible. Il faut se résoudre en lisant le tiers livre à l’irrésolution tant en terme d’écriture que de lecture. Impossible pour le lecteur (je pense au nouveau lecteur) d’embrasser la totalité du site. Ce sera donc une vue et une expérience fragmentaire qui se pose à lui.
Quant à l’auteur lui-même, on le soupçonne d’employer un sous-traitant chinois pour l’écriture des textes ! Allégations à vérifier !
Le tiers livre est une expérience de lecture de la mise en réseau de la subjectivité dans l’écriture. J’insisterai juste sur le geste de la relecture, pas l’idée de « lire, relire » un auteur, un site, etc. mais l’enjeu de la reprise : faire remonter un article ancien, ajouter, amender, republier, travailler les variations : c’est par exemple le travail en cours de Tous les mots sont adultes. Le site ressaisit la forme initiale papier (2000 puis 2005... cette forme papier étant déjà la trace d’une constellation de pratiques antérieures). Il retraverse et se réapproprie ce que le site lui-même a expérimenté, à savoir la pratique numérique de l’atelier d’écriture... fondant une nouvelle proposition : l’atelier d’écriture comme pratique numérique. Le site procède à une nouvelle éditorialisation et trace de nouvelles figures : cette éditorialisation passe par son inscription dans le site, l’ajout de photographies, d’éventuels présentations et de quelques liens + la possibilité du commentaire.
Un cas pour éclairer le propos, un cas pris dans le premier cercle du livre : il est intitulé « fenêtre le classique de Raymond Bozier » : pour l’heure, pas d’entrée d’activée mais trois exemples proposés : le premier lien renvoie vers un texte d’atelier à Argenteuil publié en 2004 (avec page d’époque), le deuxième un atelier à l’IUFM de Paris publié en 2005 et le troisième un atelier en Indre-et-Loire publié en 2007 sur le site. Ces exemples ne viennent pas du livre mais appartiennent au site. Elles sont désormais partie prenants de la démarche d’ensemble de Tous les mots sont adultes.
Ceci me semble être l’exemple précis d’une démarche numérique qui opère un changement de paradigme : le passage de l’écriture comme work in progress à celui d’une écriture comme work in process : là où le work in progress peut afficher une finalité quasiment une téléologie qui désigne une étape vers un objet fini, achevé, une totalité peut-être... le work in process rend compte d’une activité spatio-temporelle qui n’en finit pas, qui avance et s’exécute en redéfinissant constamment ses procédures et étapes de fonctionnement. In process signifie que le système organise son activité en transformant les ressources à sa disposition. Le double travail d’invention et de reconfiguration induit que le produit n’est plus fini mais infini. L’écriture numérique du tiers livre est l’expérience de cet infini.
Ici je voudrais pointer une pratique d’écriture spécifique de François, à savoir la màj, la mise à jour de ses textes. Il n’est pas rare de voir un texte remonter à la Une du site, et d’être complété. François Bon ajoute une note complémentaire qui donne un nouvel éclairage, redonne une actualité à un texte plus ancien, répondant à une double fonction :
— une fonction archéologique : le site revisite sa propre histoire des pratiques numériques, regarde la distance parcourue (ou non), évalue les évolutions. Je pense par exemple au récent « facebook mode d’emploi », 1ère mise en ligne 15 septembre 2007 et dernière modification le 19 novembre 2013.
François Bon n’efface rien mais ajoute des chapeaux introductifs pour mettre en perspective ou amender.
— Autre fonction : le changement de statut du texte. Dans son environnement numérique, le texte acquiert un autre statut. Il prend une dimension processuelle. La logique de « mise à jour » inscrit le texte dans un écosystème numérique. Sa logique est celle du logiciel, rompant avec une stricte logique chronologique pour un principe d’évolution interne, inscrivant sa temporalité (temps de l’écriture et des retour) dans la vie même du texte. Chaque texte est potentiellement voué à sa propre infinité.
C’est le paradigme temporel du texte et de l’écriture qui est ici déplacé. La présence du texte renverse la logique du présentisme (qui accompagne souvent la critique du numérique) pour une forme de présent par débordement.
Le présent s’oppose au présentisme décrit par François Hartog « comme [un] renfermement sur le seul présent et [un] point de vue du présent sur lui-même » [3]. Entendu comme temps de l’aplatissement médiatique et de la consommation événementielle, le présentisme est chez Hatog la description d’un « régime d’historicité » c’est-à-dire selon Jean-François Hammel, un modèle d’intellection du temps d’une société, un « mode d’être au temps propre à une société [qui] rend compte des relations du passé et du futur dans chaque présent de l’histoire » [4].
Il est clair que l’écriture expérimentée par le Tiers livre renverse la logique du présentisme pour une présence en reconfiguration, un présent de la reconfiguration.
Pour donner un nouvel exemple de l’articulation constellation et process : que serait une lecture de la page d’accueil ? Quelle serait sa morphologie ? La page d’accueil du tiers livre est le bord de ce qui n’en a pas. La page d’accueil du tiers livre s’abolit dans sa dynamique même. La bordure numérique qu’invente le numérique n’est pas une frontière ou une séparation. C’est la ligne instable du passage. La bordure devient le signe morphologique de ce décentrement. La page d’accueil est une invitation au décentrement, une ligne mobile toujours outrepassée par elle-même. L’hypothèse topographique devient celle d’un espace sans dehors ni dedans. La frontière est indécidable. La lecture numérique du tiers livre comme l’expérience mobile de l’écriture qui se reconfigure sans cesse construisent un espace dont le bord n’existe qu’à condition de son débordement.
3/ Tiers livre, un espace-carrefour : écosystème, plasticité et connectivité
Walter Benjamin dans L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique envisage deux temps historiques de l’art :
1/ un premier temps de l’art qui est celui de la tradition, un art artisanal et/ou monumental reposant sur l’authenticité d’un original produisant sa valeur auratique. C’est ce qu’il appelle l’autorité de la chose.
2/ un second temps de l’art que Benjamin définit comme moderne et qui permet de définir les enjeux du contemporain dans un sens que j’ai déjà abordé : c’est l’idée d’un art comme processus (voir à ce sujet la traduction et les analyses de Rainer Rochlitz). Benjamin s’appuie sur la notion de reproductibilité pour expliquer ce changement de paradigme (induisant et rappelant l’articulation esthétique aux questions technologiques). A l’ère du numérique, la question s’est élargie autant qu’elle s’est intensifiée. La démarche de Benjamin est opérante pour nous. Il faut d’abord rappeler que Benjamin n’a jamais une lecture binaire mais dialectique. Ce qu’il pointe, c’est la perte de l’aura, pas la disparition de l’œuvre. C’est un changement de paradigme qui me semble éclairer la situation de l’écriture contemporaine avec le numérique, et de François Bon en particulier. Le livre est un moment de l’écosystème de l’écriture. La question n’est plus de penser l’écriture de François Bon comme une rencontre avec un objet, fût-il métaphoriquement numérique, mais de l’envisager comme un processus qui aboutit selon l’expression de Benjamin « à un puissant ébranlement de la tradition » (L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, Folio, p. 276).
La question du processus éclaire l’idée de François Bon de l’écriture numérique comme écosystème, l’idée que l’écriture et le texte sont déplacés par les pratiques numériques. Il n’est qu’à voir les formes mobiles que prennent les aventures textuelles de François Bon entre écriture, édition et diffusion, reprise et transformation.
Rolling Stones, une biographie avant d’être un livre (Fayard, septembre 2002) a été un feuilleton radiophonique sur France Culture (régulièrement rediffusé). Première révision au moment de l’édition de poche (Livre de Poche) en 2004 (avec une postface). Prolongements et compléments sur le tiers livre avec un dossier complet (textes, ressources, complément dont le Conservations avec Keith Richards qui devient également un livre numérique avec une première existence sur Twitter + publication d’une nouvelle édition de Rolling Stones, une biographie en 2013 (revue en mai 2013) pour publie.net avec ajout, modifications et compléments. Il n’y a pas un livre mais un processus qui ne se termine pas avec cette description. Le texte devient une navigation dont les contours sont instables et souvent renouvelés.
Le numérique n’invente pas ce jeu de reprise. Voir à ce sujet ce qu’écrit François Bon au sujet de Baudelaire lorsqu’il affirme que « Baudelaire n’a jamais écrit Les Fleurs du mal » dans Après le livre p. 67 et suivantes. Le numérique n’invente donc pas ce jeu de reprise mais l’intensifie et lui donne une nouvelle légitimité. Il l’explore en approfondissant la logique processuelle. En s’appropriant cette possibilité d’écosystème, la morphologie est celle de la plasticité.
Je l’ai évoqué ailleurs, il faut pour moi envisager l’écriture numérique en terme de plasticité, au sens où Catherine Malabou définit la plasticité comme une « structure différentielle de la forme ».
Le terme de plasticité est d’abord esthétique, puis didactique : Plassein, c’est façonner, modeler, et, au sens figuré, former, éduquer. Le terme devient philosophique avec Hegel qui l’évoque dans La Phénoménologie de l’Esprit pour définir la subjectivité : la plasticité traduit le sujet, c’est-à-dire pour Hegel recevoir et former son propre contenu, c’est-à-dire s’auto-différencier. La plasticité est ici le trait général de la malléabilité, un espace de tension qui fait tenir ensemble l’hétérogène.
Réfléchissant sur l’aura, Benjamin définit l’œuvre d’art comme « une singulière trame d’espace et de temps ». C’est ce que nous donne à lire le tiers livre :
— une singularité : son auteur est diffracté, l’écriture est en constellation et le processus est plastique.
— un espace-temps : c’est la tentative de penser les dimensions du numérique (horizontalité/verticalité/profondeur-épaisseur) comme espace infini
— une trame : l’image peut renvoyer à l’idée du texte-tissu. Elle me semble également induire une idée de carrefour, un espace de croisée des chemins et des expériences qui font également du tiers livre un espace-temps ouvert : l’attention aux autres sites et aux autres expériences numériques tant sur le mode de l’admiration que de la polémique, l’attention aux supports (leurs pratiques quotidiennes sont également évoquées), les invitations à lire et à aller voir qui font du site un espace pour aller ailleurs (le tiers livre est aussi un site conçu pour qu’on s’en échappe). Le tiers livre est aussi l’occasion d’autres sites, d’autres expériences... un prétexte pour s’en échapper afin de mieux le retrouver (publie.net, Nerval, mais avant et toujours d’autres formes cachées). François Bon ne cesse n’inventer ce mouvement et ce dialogue dialectique avec son site. Il transforme son site en ses sites afin de prolonger l’infini du bord absent. Et bien sûr les réseaux sociaux offrent d’autres prolongements et espaces d’expérimentation.
On peut d’ores et déjà lire certaines contributions en ligne : celle de
— François Bon : « de Gracq considéré comme un site web »
— Arnaud Maïsetti : Tiers Livre, « le théâtre c’est dedans »
— Emmanuel Delabranche : croisements _c’est de l’autre soi (en partant du tiers livre)
[1] Pour une analyse pointue voir notamment Patrick Labarthe, "Une poétique ambiguë Les "correspondances"", dans Les Fleurs du mal (Colloque Sorbonne, janvier 2013), Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2003, p. 121 et suivantes.
[2] (Prédire n’est pas expliquer, p. 35)
[3] François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Seuil, 2003, p. 210-211.
[4] Jean-François Hammel, Revenances de l’histoire, Paris, Les éditions de minuit, 2006, p. 27.