Accueil > Carnets & CV > Bordure de soi > OUvroir de REcherche POtentiel

OUvroir de REcherche POtentiel

mercredi 19 septembre 2012, par Sébastien Rongier





Petite esquisse de méthodologie de recherche à l’usage des chercheurs désœuvrés en milieu bibliothécaire, et notamment aux usagers du rez-de-jardin de la BNF...

Face aux passages à vide dans les recherches que peuvent mener les valeureux usagers de la bnf et autres espaces dédiés à la consultation intensive de livres et autres documents de valeur intellectuelle, documentaire et historique, il faut savoir tordre la fatalité, et, peut-être, imposer au hasard une forme d’objectivité qui permettra de sortir des impasses intimes qui tétanise ou sidère le chercheur crispé au fond de son siège, la main ostensiblement arrêtée au dessus du clavier de son ordinateur, ou du calepin sur lequel on écrit (toujours) au crayon à papier.

Bref, comment s’en sortir ?

Il faut s’imposer une méthode simple : commencer une recherche en ne prenant que les livres du libre accès déposés sur les tablettes de rangements. Ces livres ont été consultés par d’autres chercheurs. Ils sont donc délaissés après usage et avant leur retour sur les rayons des bibliothèques.

En prenant ces livres à l’aveugle, on s’impose la découverte, l’inconnu, le possible. De plus, si l’on peut s’inscrire dans le sillage d’un autre, on peut plus certainement combler un manque, un abandon, un découragement devant une lecture ardue ou une erreur d’aiguillage. Il s’agit de ne prendre que deux livres au maximum en s’interdisant de prendre des volumes connus.

Devant ce capital de deux livres inconnus, il faut en mettre un dans chaque main et choisir celui de gauche (on décidera la veille au soir qui de la gauche ou de la droite sera la main heureuse). On laissera aux manchots le soin d’un choix virtualisé.

On peut ensuite commencer une recherche c’est-à-dire une lecture serrée du document élu par le hasard qui permettra d’éclairer ce que l’on cherche, ou ne pensait pas chercher. On autorisera la consultation de trois des références citées par la bibliographie du volume selon le protocole suivant : la dixième référence citée, la vingtième référence citée et la quarantième référence citée. Si l’étude que vous avez sous la main est monomaniaque et ne cite qu’une seule référence, vous n’avez pas de chance. Cependant il vous sera autorisé d’utiliser (en bonus) cette référence lorsque vous choisirez selon la méthode précédemment décrite un nouveau livre de recherche, tout en bénéficiant des trois autres références (selon le même schéma de sélection).

Exemple : vous tombez sur un essai autour du thème de la robinsonnade dans la littérature. L’auteur, sait-on pourquoi, ne s’appuie que sur le livre d’un anthropologue qui traite des peuplades de Nouvelle-Guinée. Vous garderez cette référence pour votre prochaine recherche.

Si le hasard vous met entre la main victorieuse, un texte de Maurice Blanchot (à condition de n’avoir pas déjà travaillé sur cet auteur), vous aurez le loisir d’interroger la relation de Blanchot avec les peuplades de Nouvelle-Guinée.


Après quelques temps (mois, années) de cette pratique aventureuse qui nécessite des nerfs d’acier, vous pouvez passer la vitesse supérieure en changeant de discipline tout en gardant la même méthode d’approche de la recherche.

Ainsi, un chercheur en littérature française spécialisé dans le XVIIème bulgare pourra-il prendre une place dans les rayons de la physique quantique... et inversement, cela va sans dire.

Un philosophe spécialisé dans les relations entre les pré-socratiques et la philosophie analytique pourra aller dans les salles de langues orientales et plus particulièrement le chinois (sauf s’il est lecteur de Badiou, évidemment).

Un chercheur spécialisé dans l’œuvre de Marcel Duchamp est immédiatement disqualifié, ou plus exactement hors compétition car TOUT est dans Duchamp. Il en sera de même pour Georges Perec.

Et de multiplier les pistes ouvrant le hasard à des dispositifs de plus en plus aléatoires jusqu’au moment où le chercheurs tombera en guise de référence utilisable sur un de ses propres textes, auquel cas tout repart à zéro et le chercheur est autorisé à définir ses propres sujets de recherches... enfin dans la limite des cadres fixés par les instances universitaires. Cette dernière peut aussi décider de transformer en protocole général cette méthode potentielle.


L’auteur de la proposition s’engage à publier sur ce site le fruit d’une recherche ayant suivi cette méthode voire à mettre en place un symposium à Philadelphie.

Deuxième proposition ici.


Bookmark and Share