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Couloir (1)

jeudi 6 janvier 2011, par Sébastien Rongier








Arriver au bout. C’est ce que tu te dis toujours. Encore. Encore maintenant. Mais depuis combien de temps étais-tu toujours là, à mesurer l’approche ?

Juste après l’escalier, à droite des lignes tubulaires, la perspective effrayante de l’infini. Tu te tiens droit devant la masse d’espace et projette ton corps qui avance. Et chaque mouvement ne dépasse rien, ne rencontre rien. Seulement le même pan de mur blanc jauni, semé de tâches et de griffures. Celles des autres. Ceux qui passent et laissent les traces d’un mouvement, ceux qui ne regardent que la mécanique du corps et sentent l’ébranlement du pied qui agrippe le sol, de la cuisse qui se raidit à l’alarme de la vibration des chairs et des muscles quand la jambe se tend, que le corps se projette et fend ce qui l’instant d’avant n’était qu’un vide, et immédiatement après le redevient.

Tu avances sur une surface moléculaire stable. C’est ce que te disent tes sens. Mais tu ne conçois pas le mouvement qui ne s’effectue pas malgré tes simulacres : gestes, sensation, impression de tenir la corde et d’atteindre, ce point au loin qu’on appellerait bout s’il menait quelque part.

Tu te rassures. Tu absorbes l’information de ton pouls, sa régularité. De -ci, de -là, un flux et son reflux. Métronomique. Tout fonctionne alors. Le corps est alimenté, le cerveau oxygéné. Mais tu n’oses pas regarder tes mains. Ou tes pieds. Par peur. Celle d’un tremblement, d’un vacillement qui trahirait un malaise. Parce qu’autour de toi, objectivement, rien ne bouge. Dis-tu. rien ne bouge. C’est ce que tu te répètes, c’est que ton cerveau, se répète, te répète.

Il est devant toi ce point extrême, ce point d’infini sur lequel tu rêves de buter. Comme si, au terme du chemin, il y avait une jetée : l’océan, les embruns, peut-être même un bruit volatile et l’air iodé qui brûlerait tes sinus, le temps de s’y faire. Tu remonterais le col de ta chemise en regardant l’horizon qui s’infinirait dans tes yeux et penserais, marin, aux écorchures des ponts des bateaux quand tu demanderais de hisser la grand-voile.

Mais tu ne bouges pas. Tu ne le sais pas. A peine. Tu pressens. Tu perçois. Tu tournes autour de la sensations pour ne pas laisser la peur t’envahir. Celle d’une immobilité. D’un emprisonnement dans le temps d’un couloir.

Tu n’aurais qu’un pas à faire, un seul : celui-là, celui qui chaque jour t’emmène, habituellement, de ce point à un autre, celui qui trace des tangentes de ton corps dans les rues de la villes, dans les cubes des bâtiments. Ce pas qui te lie au sol par les intermittences de la marches.

Juste ce pas qui ne vient pas, qui s’est arrêté dans ta nuque raide, ton torse droit, ton regard ferme sur les lignes d’un couloir qui t’absorbe et t’entraîne dans un dédale que tu ne comprends pas, qui s’approche de toi, qui arrive sur toi.




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