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La tondue de Nevers (A propos de Hiroshima mon amour d’Alain Resnais)

mardi 18 août 2009, par Sébastien Rongier

Elle, c’est d’abord une tondue. Avant d’être une actrice. Avant d’être une épouse. Avant d’être une mère. Avant d’être la maîtresse d’un japonais de Hiroshima. Elle, c’est une tondue.

C’est l’image poisseuse de la Libération, celle dont on aimerait ne pas se souvenir. Et, en effet, on ne se souvient pas. Longtemps le silence sur ces pratiques douteuses et abjectes qui s’en prennent toujours aux femmes, à leur corps. Souvent à la faveur de toutes les rumeurs, ou de tous les règlements de compte. Qu’importe la frustration voire la mauvaise conscience de beaucoup — ceux qui n’ont rien fait, ou ceux qui ont trop fait — on se drape dans ces faits de guerre, ces putasseries que l’histoire officielle oubliera longtemps... mais il est vrai qu’on a connu des serviteurs de l’Etat vichiste qui poursuivirent une belle carrière préfectorale, puis ministérielle sous les dorures complaisantes de l’Etat (la Seine de 1961 s’en souvient encore !). Pour ces femmes abominablement violentées, on parlait de « collaboration horizontale ». L’expression est assez affreuse mais ridicule comparée à cette collaboration intégrale dont on ne se remet pas. Mais l’Histoire de France, la grande, l’officiel, a ses habitudes oublieuses... [1] En tout cas, dans l’urgence d’un scénario écrit en 1958, une écrivain n’oublie pas les tondues de la Libération, comme d’autres écrivains n’oublient pas plus tard la rue Lauriston, et d’autres encore la Seine de 1961 ensanglantée par des pratiques policières qu’on nous dit d’un autre temps.

Quand on revoit Hiroshima mon amour d’Alain Resnais, quand on relit le scénario de Marguerite Duras, c’est d’abord cela qui frappe l’esprit : la tondue de Nevers.




Un visage perdu. L’homme mort, elle sent encore sur sa peau l’agonie longue, la chaleur qui disparaît, le raidissement progressif. Elle a couvé sa mort. Comme pour la retenir ou l’empêcher avant de sombrer dans la folie. C’est un corps social fou qui l’accueille. A Nevers. A Nevers comme partout ailleurs, ils attendent tous — les braves gens comme les autres — ils attendent tous le moment. Le bon moment pour montrer la force de la frustration, la puissance de la convention. La tondre, ce n’est pas se libérer, c’est au contraire réaffirmer la puissance des valeurs vichistes, c’est prolonger symboliquement les valeurs fascistes. Mais tondre une femme n’est pas un geste symbolique. C’est labourer un crâne de coups de ciseaux haineux, c’est tirer des cheveux, tordre des membres, c’est insulter des femmes, cracher sur des visages. C’est détruire.

« Ils me tondent avec soin jusqu’au bout. Ils croient de leur devoir de bien tondre les femmes.
(...)
Je ne suis attentive qu’au bruit de ciseau sur ma tête. Ca me soulage un tout petit peu... de... ta mort... comme...
(...)
Ah ! quelle douleur. Quelle douleur au coeur. C’est fou... On chante La Marseillaise dans toute la ville. Le jour tombe. Mon amour mort est un ennemi de la France. Quelqu’un dit qu’il faut la faire se promener en ville. La pharmacie de mon père est fermée pour cause de déshonneur. Je suis seule. Il y en a qui rient. Dans la nuit, je rentre chez moi. »
Marguerite Duras, Hiroshima mon amour, Folio, pages 96-97.



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Photogramme issu de Hiroshima mon amour d’Alain Resnais.


Pour prolonger ces premières remarques :

 Fabrice Virgili, « Les « tondues » à la Libération :le corps des femmes, enjeu d’une réaproppriation », Clio, numéro 1-1995, Résistances et Libérations France 1940-1945. Texte en ligne ici.

 Fabrice Virgili, La France “virile” : des femmes tondues à la libération, Payot, 2004.


 Jean-Luc Einaudi, La bataille de Paris. 17 octobre 1961, Point-Seuil Histoire, 2007.


 Dossier Duras sur remue.net


 A écouter la Grande traversée Avec Duras imaginée par Laure Adler pour France culture et diffusée cette cet été 2009. Une série d’émissions passionnante et magistrale.


[1Qu’en sera-t-il quand les chercheurs, les universitaires devront répondre à des programmations technocratiquement décidées ? Qu’en sera-t-il dans les murs d’un éventuel musée de l’histoire de France ?